Menu Célébrités Menu Histoire
Retour au sommaire


Honoré de Balzac et la rue Visconti


Honoré de Balzac fait partie des trois plus grands personnages ayant habité rue Visconti, Jean Racine et Eugène Delacroix étant les deux autres. Il n'y est pourtant resté que deux ans, le temps de s'essayer au métier d'imprimeur et d'échouer.

Afin de tâcher de rembourser les emprunts contractés pour l’affaire malheureuse des classiques français, il se lance en 1826 dans une nouvelle entreprise commerciale. Mal conseillé, il rachète, avec un jeune prote de ses amis, Barbier, une imprimerie peu rentable de la rue des Marais Saint-Germain et s’installe dans un petit appartement au-dessus de l’atelier. Au mois de juillet, la première feuille sortit des presses est un prospectus pour les Pilules anti-glaireuses de longue vie, ou grains de vie de Cure, pharmacien rue Saint-Antoine.

Le bilan de l’année 1826 n'est pas florissant. Balzac a contracté quatre-vingt-dix mille francs de dettes (l'équivalent de 300 000 euros actuels), et doit travailler d’arrache-pied au cours de l’année suivante pour tâcher de rentabiliser son affaire. À côté du tout-venant, des prospectus et des almanachs, il imprime tout de même quelques ouvrages littéraires importants pour Canel, comme la troisième édition de Cinq-Mars, de Vigny (qui, en 1850, se souviendra du Balzac d’alors comme d’« un jeune homme très sale, très maigre, très bavard, s’embrouillant dans tout ce qu’il disait, et écumant en parlant parce que toutes ses dents d’en haut manquaient à sa bouche trop humide »). Il fit la connaissance, à cette occasion, de plusieurs membres du Cénacle et du jeune Victor Hugo, qui n’avait alors publié que Han d’Islande, Bug-Jargal et Odes et ballades, et préparait son propre Cromwell, dont la préface deviendrait le manifeste du drame romantique.


Livre imprimé rue Visconti par Balzac en 1827


Chambre de Balzac au 17-19, rue Visconti peinte par Frédéric Léon (BnF).

Mi-juillet, sans doute dans l’idée d’alléger ses factures de caractères, il décide avec Barbier de s’associer avec son fournisseur et de racheter une fonderie, empruntant pour cela six mille francs supplémentaires à Mme de Berny, qui investit elle-même anonymement neuf mille autres francs dans l’affaire comme «associé commanditaire».

Or, la gestion désordonnée de Balzac menace déjà de couler l’imprimerie. Au début de février 1828, Barbier se retire, pressentant la catastrophe. Balzac reste seul propriétaire de l’imprimerie, et une nouvelle société est fondée pour l’exploitation de la fabrique de caractères.

Dès le mois de mars, Balzac, qui avait signé des billets à ordre à tort et à travers, ne peux plus faire face aux créanciers, ni payer ses ouvriers. Craignant la contrainte par corps, il se cache dans un quartier alors à l’écart et passablement sinistre, près de l’Observatoire, où il loue un appartement au 1, rue Cassini, sous le nom de son beau-frère Surville. Mi avril, la société de fonderie de caractères est dissoute. L’un des fils de Mme de Berny, Alexandre, succède à Balzac dans ses droits dans l’ancienne société. En une quinzaine d’années, il allait faire de la fonderie l’un des premiers établissements de la capitale et son nom restera associé à l'entreprise pendant 50 ans jusqu'en 1887. Peu de temps avant la fin de l'établissement, l'ensemble du bâtiment est encore loué par De Berny qui y emploie 90 ouvriers. Et mi-août 1828, Barbier racheta l’imprimerie pour soixante-sept mille francs - le montant de l’actif.


Papier à en-tête de l'imprimerie Balzac et Barbier en 1827.


Bâtiment du 17-19, rue Visconti en 1914 (photo UPF reproduite par les Archives de paris pour www.rueVisconti.com).

Balzac se retrouve avec soixante mille francs de dettes, dont cinquante envers sa famille. Il n’a plus d’autre solution que de reprendre la plume. Rêvant d’écrire une Histoire de France pittoresque, il n’avait cessé de se documenter pour ses projets de romans historiques. Mais ces visées demandaient encore de longues études... Il se décide donc pour une histoire située dans un passé plus récent, pendant la guerre des chouans, qui lui semblait plus facile et plus rapide à réaliser. Il demanda asile au général de Pommereul (le fils du protecteur de son père), qui habitait Fougères. Il allait commencer à écrire là le premier des romans qu’il jugerait plus tard digne d’entrer dans La Comédie humaine : Les Chouans.



Au début de l'année 1842, Balzac rédige une ébauche de roman qu'il nomme Valentine et Valentin. Le roman commence par une description de la rue des Marais :
La rue des Marais, située au commencement de la rue de Seine à Paris, est une horrible petite rue rebelle à tous les embellissements accomplis par les échevins modernes avec une lenteur qui peut faire croire que l'administrateur a pour mission d'entraver cet enthousiasme inhérent au caractère gaulois appelé par les Italiens furia francese. L'historien des mœurs ne doit-il pas faire observer que la ville de Londres fut éclairée au gaz en dix-huit mois, et qu'après quinze ans une seule moitié de Paris est en ce moment éclairée par ce procédé miraculeux ? La rue des Marais fait partie de la moitié qui conserve le hideux réverbère [à huile]. Il en sera pour les Chemins de fer comme du Gaz. Et l'on parle de la légèreté française !
Cette rue des Marais possède un monument précieux, la maison, aujourd'hui numérotée 15, où Racine passa toute sa vie.[...]
Suit une description de plusieurs pages de la maison de Racine, qu'il situe au 15, alors que la légende désigne le 13 ou le 21, et que c'est en fait au 24 qu'il est mort ! Voir pour cela la page consacrée à la localisation de la dernière maison de Racine.





Un siècle plus tard, au cours de la séance du Conseil Municipal du 27 novembre 1929, M. Raymond-Laurent, conseiller municipal du quartier Saint-Germain-des-Prés soumet en son nom et en celui de M. d'Andigné, une proposition tendant à commémorer par l'apposition d'une inscription sur l'immeuble du 17, rue Visconti, le centenaire de Balzac, imprimeur. Cette proposition, accueillie avec faveur, est renvoyée à la 4e commission et à l'administration qui en saisit la Commission du Vieux Paris.

Celle-ci étudie le cas et rend ses conclusions lors de sa séance du 17 décembre 1929, par la voix de Paul Jarry. Le rapport conclut entre autres choses que peu des logis occupés par Balzac subsistent aujourd'hui et que Balzac fut un des premiers, à son époque, à goûter le charme des vieux hôtels qu'il a maintes fois décrits. Ainsi, la plaque pourra tout à la fois indiquer un des rares lieux témoins de la vie tourmentée de Balzac et « la part décisive que tient dans la carrière littéraire de Balzac sa faillite comme imprimeur », mais encore, elle rendra hommage à cet amoureux du patrimoine avant l'heure (« le Vieux-Paris lui doit bien cela »).

La Commission fait le choix d'un texte lapidaire (voir la photo ci-dessous) afin que « dans l'esprit des générations futures, aussi bien que du simple passant, le souvenir de Balzac imprimeur ne puisse supplanter celui de Balzac romancier »... Le Conseil Municipal de Paris délibère le 21 et le 28 décembre 1929 et adopte le projet. La plaque est inaugurée le 1er juin 1930.



La présence, même éphémère de Balzac dans la rue Visconti a contribué à la notoriété du lieu et à la documentation historique de la rue. Il existe en effet de nombreuses illustrations qui représentent le bâtiment du 17-19, rue Visconti et toutes les guides historiques sur le quartier mentionnent sa présence. Difficile d'y échapper !


Le bâtiment de l'imprimerie de Balzac aujourd'hui et une peinture (reproduite ici sur carte postale) de Frédéric Léon qui a eu son atelier à la même adresse de 1896 à 1929.


Baptiste Essevaz-Roulet, d'après divers textes et comptes-rendus de la Commission du Vieux-Paris
(courriel : b.essevaz-roulet@ruevisconti.com)