Henri Jonquières et la rue Visconti |
Eléments biographiques1 Henri Jonquières naît en 1895 à Buenos-aires d’une famille française expatriée en Argentine. De retour en France à l’âge de 6 ans, il réalise un cursus scolaire honorable qui se conclut en 1913 par l’obtention du baccalauréat mention philosophie. En 1914, comme de nombreux camarades, il s’engage dans la cavalerie française. Aux sortirs de la guerre, il reçoit le soutien de son beau-frère Georges Crès avec lequel il apprend le métier d’éditeur. Il s'installe au 21, rue Visconti vers 1920 et en 1922, il y ouvre une maison d’édition qui porte son nom : Les éditions Henri Jonquières, grâce auxquelles il fonde entre autre la collection « Les Beaux Romans », c’est un succès immédiat. Henri Jonquières photographié par Marc Foucault en juillet 1952 à gauche et par Jean Dieuzaide en 1973 à droite. Dès 1929, les difficultés économiques se succèdent les bibliophiles alors uniques acquéreurs de ses livres illustrés se font de plus en plus rares. Mise en liquidation judiciaire en 1935, sa maison d’édition disparaît après avoir édité plus de 160 livres. Henri Jonquières déménage alors au 21, rue du Vieux-Colombier. Pour faire face aux problèmes financiers, il rentre en 1934 au service de Charles Peignot ; il concourt alors à la maquette et aux choix typographiques de la revue Les Arts et Métiers Graphiques. Cette aventure qui dura cinq ans se conclut en 1939, la seconde guerre mondiale mettant fin à cette collaboration. Les années de guerre restent marquées par l’inaction, il garde ses contacts littéraires et artistiques sans toutefois proposer de nouveaux projets éditoriaux. Il faut attendre le milieu des années quarante pour voir réapparaître de nouvelles initiatives publiées chez ses confrères, lui s’étant définitivement retiré du métier d’éditeur. Il prend alors le titre de directeur artistique, typographe et maquettiste. Reconnu dans ce nouveau rôle, on le sollicite en tant que conseil à l’école Estienne ou à l’école des Beaux-Arts de Paris. Amoureux de la belle typographie, Jonquières disparaît en 1975. Son oeuvre Apprécié de tous, voir vénéré, Jonquières avait la réputation d'être un homme doté de « l'enthousiasme d'une jeunesse perpétuelle et contagieux » et d'une totale abnégation en ce qui concernait son travail. Son ami Guignard dit un jour : « Aimer le livre n'est pas un jeu ; c'est faire voeu de pauvreté : voyez Jonquières !». Lui-même disait « de ma part, tout m'est venu d'un amour irraisonné du livre ». Jonquières réalise notamment des livres en collaborant avec les grands artistes de l'époque. Il fait illustrer deux livres par Picasso ("Deux Contes" et "40 dessins en marge de Buffon"), un autre par Henry Moore ("Prométhée" de Goethe, traduit par André Gide) et Le Grand Testament de François Villon par Jacques Villon. Les exemplaires de ces ouvrages se négocient aujourd'hui à des prix atteignant parfois 10 000 € pièce ! Il n'en demeure pas moins que son travail a influencé des générations de typographes. Charles Peignot dit en substance : « si de cette époque date la rupture de style avec la typographie d'avant-guerre, on le doit notamment à l'amour passionné de Jonquières et de Vox pour l'art de la lettre ainsi qu'à l'intervention créatrice de Cassandre dans ce domaine ». Ces trois personnages sont du reste tous des voisins (ou l'ont été à un moment ou à un autre) : ils ont tous vécu rue Visconti. Hommage de Vercors à Henri Jonquières en 1976. Nombreux sont en effet ceux qui se sont liés d'amitié avec lui. Vercors par exemple dit ceci : « Je l'ai connu en 1926 ou 27 quand il était jeune éditeur rue Visconti. L'amitié s'est nouée peu à peu ». D'autres, à l'heure des hommages, se souviennent : « Quel homme exquis ! » et se remémorent son « regard pétillant, serein, intelligent et beau ». Au nombre de ses amis, on compte Bourdelle, Mac Orlan, Chas Laborde, Jean Oberlé (avec qui il collabore en 1945 à l'hebdomadaire "Bref"), Rouault, Constant Le Breton, Maximilien Vox (avec qui il entretient une relation de franche camaraderie : Vox, dans une lettre, l'interpelle ainsi : « Espèce de Tante ! »). En 1980, cinq années après sa mort, José Mendoza reçoit le prix Maximilien Vox, distinction suprême des arts graphiques, pour la réalisation d'une nouvelle police de caractère souhaitée par Henri Jonquières et commandée par la Caisse Nationale des Monuments Historiques et des Sites. Cette nouvelle police est dénommée la Sully-Jonquières. C'est une version droite issue de l'italique garamonde, de la famille des Garaldes. Exemple de caractères en « Sully-Jonquières ». Divers portraits de Henri Jonquières (collection particulière). Extraits de l'ouvrage consacré à Henri Jonquières en 1964 par l'Ecole Estienne (collection particulière). Différents logotypes des éditions Jonquières (collections particulières). Voici également une description du personnage et de son travail par André WARNOD en 1927 et publiée dans le site des Amis de Remy de Gourmont. La camaraderie est comme la langue d'Esope la meilleure et la pire des choses. Les éditeurs le savent bien mais ne s'en aperçoivent pas toujours à temps. Mais c'est un fait. Les maisons d'édition qui ont joué un rôle dans le mouvement littéraire de leur temps ont toujours été considérées comme des maisons amies par les auteurs qui y portaient leur manuscrit. Henry Jonquières continue cette tradition. Il n'est guère de livres portant sa firme dont le texte et les dessins ne soient pas œuvre d'écrivains ou d'artistes unis à lui par les liens d'une bonne amitié et qui, de plus, ont les uns pour les autres une sincère estime professionnelle. C'est ce qui donne de l'unité à une firme, c'est ce qui lui permet de refléter le caractère d'une époque. |