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A Antoine Thiard.


François-Louis Poumiès de la Siboutie
et la rue Visconti


Lorsque je vins au monde,
Ma famille, dit-on,
Fut mandée à la ronde
Pour me donner un nom.
Longue fut la séance,
Vifs furent les débats,
Comme en mainte occurrence
On ne s’entendait pas.
L’un veut que saint Nicaise
Devienne mon patron ;
Un autre de Saint Blaise
Veut me donner le nom.
Au calendrier de Rome
Chacun fouille à la fois,
Mon grand-père, bon homme,
Dit : Nommons-le François.
Des amis du jeune âge
J'entends encor la voix,
Au collège, au village.
Tous m'appelaient François.
Et toi, ma bonne mère,
Bonne et belle à la fois,
Toi qui me fut si chère,
Tu m'appelais : François.
La Saint-François par F.-L. Poumiès de la Siboutie, 18551.


Eléments biographiques

François-Louis Poumiès de la Siboutie naît le 8 juin 1789 à Saint-Germain-du-Salembre en Dordogne. Malgré les apparences, sa famille n'est pas noble, le grand père Poumiès a simplement ajouté « la Siboutie » à son nom, du nom du manoir, dans la famille « depuis des siècles »2, en fait depuis 2 ou 3 générations. Les Poumiès sont de condition modeste, d'esprit rigoureux et ouvert. Son père Pierre avait fait une partie de ses études chez les Jésuites à Périgueux et était devenu juge de paix de Neuvic-sur-l'Isle, non loin de Saint-Germain-du-Salembre dont il a aussi été maire de 1795 à 1803, puis de 1808 à 1816. « Nous ne naissons pas tous homme de génie, (...) mais je ne connais rien qui puisse m'empêcher d'être un homme de bien »1 répétait souvent ce « libéral avancé mais modéré »3. La mère de François-Louis, Elisabeth Cellérier, avait reçu une éducation très soignée et était d'une grande instruction2.


Liste des maires affichée dans la mairie de Saint-Germain-du-Salembre sur laquelle apparaît le nom de Pierre.
Le nom de famille est mal orthographié car il n'était connu que d'après des documents manuscrits (cliché BER).


François-Louis grandit dans le Périgord d'après Révolution, encore emprunt de traditions ancestrales mais qui déjà disparaissent. Il est le second de 12 frères et soeurs et la vie familiale est chaleureuse. De 13 à 20 ans, il est externe dans un pensionnat de Périgueux puis il part étudier à Bordeaux.


La maison du domaine de la Siboutie aujourd'hui, désormais sur la commune de Saint-Jean-d'Ataux (cliché Mr Bonneau).


Pendant l'année 1810, il s'essaye au métier d'avocat en travaillant dans une étude, mais, peu passionné, il renonce et choisit d'étudier la médecine. Pour cela, il monte à Paris dans des conditions épiques (le voyage dure plusieurs jours)2. Il arrive à Paris le 11 novembre 1810, il a 21 ans et s'apprête à croquer la capitale grâce à son intelligence, son ouverture d'esprit, « [s]a belle tournure, [s]a jolie figure et [s]on air de gaîté »1.


Agé de 18 ans, "François Pomier" [sic] inscrit son nom sur la troisième de couverture des Oraisons de Bossuet, puis rajoute un ex-libris alors qu'il est chirugien-interne à l'Hôtel-Dieu à Paris (collection B.E.-R.).


Dans un premier temps, il loge rue de la Harpe. Il intègre rapidement la faculté de Médecine et part habiter à l'hôpital Saint-Louis. En 1812, il est nommé interne des hôpitaux de Paris pour 4 ans. Au cours de ces années qu'il jugera ensuite déterminantes, il suit les cours de Dupuytren, Cuvier, Pinel, Lallemand2. Après être passé par l'hospice de la Salpêtrière puis l'hôpital de la Pitié, il est intégré en 1814 à l'Hôtel-Dieu.

Le 12 août 1815, il présente sa thèse qui a pour titre "Essai sur la première menstruation"4. Son manuscrit de 27 pages est plus littéraire que scientifique. On y apprend que la femme a "une disposition morale plus précoce" et "une sensibilité plus exquise" ou encore que les seins sont le "principal ornement de la beauté"... Le jury qui lui décerne le titre de Docteur en médecine est composé de sommités de la médecine : outre Corvisart et Dupuytren, Jussieu et Vauquelin sont examinateurs.


Couverture de la thèse de François-Louis Poumiès de la Siboutie et page des remerciements.


Le 5 décembre 1816, à 27 ans, il se marie avec Catherine-Félicité Delpont sous le régime de la communauté de biens5. Après le mariage, le jeune couple emménage chez les beaux-parents Delpont au 54, rue de Grenelle dans l'hôtel Langeron2 (aujourd'hui rasé pour le percement du boulevard Raspail). Son beau-père, François Delpont est un bourgeois qui s'est enrichi grâce au négoce d'équipements militaires. Il a également le grade de Maréchal des Logis-Chef, puis de Capitaine de la garde nationale à cheval. Il s'agit d'un titre équivalent à celui des grades des réservistes aujourd'hui6.

En 1821, un dénommé chevalier de Champeaux propose à François Delpont de devenir partenaire de la société Champeaux et Cie, ce qu'il accepte et y associe son beau fils, le Dr Poumiès7. Cette société devait proposer des assurances contre les conséquences des recrutements militaires par tirage au sort. Ces recrutements étaient en effet de véritables engagements de force dans l'armée et les familles pouvaient se retrouver démunies du jour au lendemain par le départ du chef de famille6. François Delpont met 150 000 fr dans l'affaire et Poumiès, 60 000 fr. Cependant, en 1823, la société fait faillite dans des circonstances frauduleuses, à cause, semble-t-il, des Mazar père et fils, partenaires douteux. Poumiès et Delpont perdent leur mise et sont assignés devant les tribunaux par le chevalier de Champeaux qui vient de passer 203 jours en prison7.

Sans que l'on sache s'il y a un lien de cause à effet, Delpont vend son hôtel particulier 3 mois après l'assignation8. Poumiès et sa femme doivent alors quitter le 54, rue de Grenelle (que rachète le célèbre docteur Velpeau) et emménagent au 25, rue du Sépulcre, aujourd'hui rue du Dragon9. En 1831, le couple déménage au numéro 21 de la même rue, rejoignant ainsi le Dr Réveillé-Parise9 (1782-1852) qui sera l'ami de François-Louis Poumiès de la Siboutie pendant 30 ans1.

En 1830, Poumiès s'investit complètement dans la révolution et s'engage dans la garde nationale2. Deux ans plus tard, il est mobilisé comme tous les médecins de la capitale pour lutter contre l'horrible épidémie de choléra qui fera plus de 12 000 morts. Il obtient pour cela une médaille pour le service rendu2.


Médaille donnée à Poumiès de la Siboutie en récompense de son dévouement lors de l'épidémie de choléra en 1832 (collection B.E.-R.).

En 1837, il se porte acquéreur avec sa femme de l'actuel 21, rue Visconti. L'hôtel particulier est connu à l'époque sous le nom d'hôtel de Ranes, du nom de la famille qui l'avait acheté en 1714 et c'est d'ailleurs à leurs héritiers que Poumiès le rachète. Poumiès continue de vivre et d'exercer la médecine rue du Dragon jusqu'en 1844 puis s'installe rue Visconti2,5.


Imprimé daté des années 1840 pour facturer les clients du cabinet médical de Poumiès au 21, rue du Dragon (collection particulière).

En 1845, il achète avec sa femme une villa à Ville-d'Avray et, en 1852, le couple rachète les parts du frère de Catherine-Félicité pour acquérir la totalité du 16, rue Daval dans le XIe arrondissement de Paris5.

En 1847, il approche de la soixantaine lorsqu'il se brise le genou en montant les escaliers pour effectuer une visite à domicile. Cet accident marque un tournant décisif dans sa vie... La pause forcée l'oblige à rompre avec le rythme forcené des consultations et lui offre le temps de méditer. Il « renonce à l'exercice de son art, voyage beaucoup »10 et en profite alors pour « rédiger des mémoires qu'il tirait des notes de son journal quotidien »11.


Portrait de François-Louis Poumiès de la Siboutie peint par un élève de Ingres (collection particulière, cliché BER).


En 1853, le docteur Poumiès, « un enfant du pays (...) qui eut un moment à Paris son heure de célébrité et dont ses contemporains se souviennent encore »12 fait don de sa collection d'autographes à la bibliothèque de Périgueux. Le Figaro s'en fera l'écho 30 ans après : « cette collection, au milieu de laquelle se rencontrent des documents curieux, jette sur l'histoire de la première moitié de ce siècle une lumière parfois indiscrète. (...) Le médecin, dans sa longue carrière de praticien, devait avoir connu bien des petits secrets que le devoir professionnel l'empêchait de divulguer »12.

En mars 1855, il publie un recueil inattendu de poèmes intitulé "Les Moments perdus"1. Dans ces quelques textes en vers, il trace le contour de ses idéaux, de ses convictions, de sa morale et de ses pensées nostalgiques. Quelques uns sont très jolis (connaissance de l'homme, le rêve d'un vieillard). « Le petit livre Les Moments perdus, se compose de poésies fugitives, d'Epitres, d'Envois, de Méditations, de Fables et de Chansons. Poumiès s'y montre fin, spirituel, railleur quelque fois, jamais mordant »13.

Au cours de ce même printemps 1855 il effectue avec l'écrivain Frédéric Lock des recherches sur la maison de Racine (voir ci-dessous). Poumiès fait poser le 30 janvier 1856 une plaque commémorative indiquant que Racine est mort à l'hôtel de Ranes5.


Entrée de l'hôtel de Ranes avec la plaque commémorative en haut à gauche de la porte, photographiée 1885 par Emonts (BHVP, cliché BER).


Hélas, Catherine-Félicité, sa femme depuis près de quarante ans, décède en juin 1855 au cours d'un « voyage au Havre »5. Elle avait rédigé son testament l'année précédente et faisait de son « mari bien aimé »5 son légataire universel. Des relations du couple, on sait peu de choses. Quelques éléments donnent à penser que le mariage n'a pas été très heureux, notamment un étrange poème intitulé « Conseils à un jeune mari »21 dans lequel Poumiès écrit « Lorsque ceux qu'on aima ne sont plus sur la terre, On se plait à porter un regard en arrière ; Les peines qu'on leur fit, les torts qu'on put avoir Nous mettent dans le coeur un profond désespoir. (...) Heureux celui qui peut pleurer sur un cercueil et porter sans remords ses vêtements de deuil ». A 66 ans, il se retrouve donc veuf et sans descendance.

Le 4 août 1857, il se remarie avec Elodie Foulcon de la Roquette, une jeune femme issue de la noblesse Périgourdine et dont la beauté n'est pas la qualité première. Il a 68 ans et elle en a 34. Nous ne savons rien de leur rencontre ni de leurs motivations, mais il est à noter qu'Elodie semble être moins fortunée que ne l'était Catherine-Félicitéd'après 5.


François-Louis Poumiès de la Siboutie et Elodie Foulcon de la Roquette photographiés en 1857 (collection particulière).

Noémie naîtra de cette union en 1858 comblant ses parents : « Salut, enfant chéri que j'ai tant désiré, si longtemps attendu, si longtemps espéré ! »21. Conscient de son âge avancé, Poumiès lui dédie un petit poème testament : « Tu viens bien tard pour moi, car mon heure dernière est bien près de sonner (...) en pensant qu'il te reste un excellente mère, femme de coeur, d'esprit et d'un grand dévouement »21. De la même façon, le docteur fêtera l'arrivée de sa deuxième fille Denise en 1859 : « Denise chère enfant, objet de mon amour qu'il soit sacré pour moi, qu'il soit béni ce jour »21. Le bonheur n'est cependant pas complet puisque ce sont deux soeurs jumelles qui naissent ce jour là, Denise manque de mourir, mais l'autre décède : « Deux berceaux le matin et le soir un cercueil. En même temps que toi ta soeur vit la lumière, le coucher du soleil fut son heure dernière »21.

En 1861, le couple acquiert une maison à Montereau-Fault-Yonne dont ils feront leur résidence secondaire.

L'automne 1863 sera terrible pour Elodie. Le docteur Poumiès de la Siboutie décède en effet le 19 octobre à l'age de 74 ans alors que sa femme est enceinte de leur troisième fille. Celle-ci naîtra le 22 novembre et sera baptisée Françoise-Louise. Le 8 décembre suivant leur fille aînée, Noémie, âgée de 5 ans et demi décède à son tour...

Dans son testament, Poumiès écrit : « Je donne et lègue à ma femme bien aimée Elodie Foulcon, la somme de 3 000 fr de rente viagère ; c'est un bien faible témoignage de mon amour et de ma reconnaissance pour le bonheur que je lui ai dû dans mes vieux jours »5.

Sa fille Françoise (devenue Mme Louis Dagoury) n'aura pas de descendance ; sa fille Denise (devenue Mme Antoine Branche) vivra quant à elle jusqu'à l'age de 90 ans : elle meurt en 1949. Il s'est ainsi écoulé 160 ans entre la naissance du Dr Poumiès et la mort de sa fille ! Comme le pressentait déjà Poumiès « ma fille (...) pourra remonter sans autre intermédiaire que son père, à un siècle et demi en arrière. On aura peine à la croire lorsqu'elle dira que son père a dîné plusieurs fois en 1794, avec le conventionnel Lakanal, alors en mission en Dordogne ; qu'il avait été bercé du récit de la bataille de Fontenoy [1745] par un vieux soldat qui y avait assisté ! »2.


François-Louis Poumiès de la Siboutie vers 1860 (collection particulière).




Son engagement médical

A défaut d'avoir révolutionné la médecine, Poumiès semble l'avoir pratiqué avec la plus grande qualité. Son éducation médicale a été à la fois courte, pragmatique et remarquable. Il a notamment été l'élève de Dupuytren, Cuvier, Lallemand, Pinel. Lorsqu'il commence sa carrière, il en adopte aussitôt les valeurs humanistes. Il est aussi le « Médecin des pauvres »1 en exerçant à titre gratuit pendant plus de 30 ans dans les établissement de bienfaisances de Paris. Il pratique la médecine avec éthique affichée : « L'art de guérir n'est point une affaire de négoce, c'est presque un sacerdoce »1, il est un « praticien esclave de son devoir, l'ami du pauvre et de l'affligé »13.

Curieux de l'autre il se passionne pour ce que la pratique de la médecine lui donne lieu de découvrir : « l'homme est vivant, son esprit, sa figure, ses désirs, ses instincts, ses goûts, ses passions, sont un vaste sujet de méditation ». Il a de sa science une conception étonnement moderne. Il résume ses conseils dans le poème « La Santé » :

Soyez de ce trésor sagement économe,
Loin de le diminuer, augmentez en la somme.
C'est par la tempérance et la sobriété
Qu'on maintien l'âme saine et le corps en santé ;
Par elles l'on apprend à se vaincre soi-même :
Pas d'excès, rien de trop, voilà leur loi suprême ; (...)
Ajoutez l'exercice à la sobriété,
Sachez vous occuper et fuir l'oisiveté.

Il est aussi un observateur ironique du monde médical de l'époque. Il s'amuse à en décrire les contradictions et les errements. A propos de l'épidémie de choléra qui débuta à Paris en mars 1832, il écrit : « Il régnait une grande diversité de traitements dans les hôpitaux comme dans les pratiques particulières. Le froid, le chaud, les calmants, les excitants furent employés avec des succès et des revers à peu près égaux »2.

Il s'insurge contre la médiocrité, l'indiscrétion de certain praticiens, le charlatanisme en général et les magnétiseurs en particulier. « Chaque lieu, chaque époque a son charlatanisme. La Grèce eut la Sybile et nous le magnétisme ». Ou encore : « Mais puisque vous voulez la guerre, charlatans, je vous la ferai ; redoutez tout de ma colère, dans peu je vous affamerai. Oui, j'espère bien vous réduire, (...) à manger vos drogues pour vivre, à boire tous vos élixirs »1.

A sa mort, sa bibliothèque comptait 557 volumes d'histoire, de médecine et de littérature5.



Poumiès et la rue Visconti

Poumiès semble fréquenter la rue Visconti (alors rue des Marais-Saint-Germain) dès les années 1820. Il semblerait en effet que son beau-père François Delpont y exerce alors une activité professionnelle de fournisseur militaire et fabrication de chapeaux au 15, rue Visconti9. D'autre part, il fréquente à cette époque Louis-Marie Prudhomme, propriétaire du 18, rue Visconti et éditeur des « Révolutions de Paris », avec qui il bavardait souvent. C'est lui qui lui présente l'immeuble du 21, rue Visconti comme étant la maison de Racine5, maison dont Poumiès se porte acquéreur en 1837.


Extrait des notes manuscrites de François-Louis Poumiès de la Siboutie en 1855 (collection particulière).


En 1844, avant de venir s'installer rue Visconti, il fait procéder à des travaux d'aménagement et de consolidation de l'hôtel de Ranes. Ces travaux sont d'abord interdits par la préfecture en raison d'un arrêté d'alignement des façades. Cet arrêté a pour objectif d'obliger les propriétaires à l'occasion de travaux de reconstruction à reculer leur façade sur l'alignement du 17-19 pour élargir la rue. Le problème est la définition de ce que sont des travaux de reconstruction : la préfecture considère que Poumiès ne peut intervenir sur la structure de l'édifice sans appliquer le recul de sa façade. Poumiès aura finalement gain de cause grâce à ses relations ministérielles5.

Persuadé d'habiter la maison de Racine, il enquête avec l'écrivain Frédéric Lock en 1855 à la recherche de preuves. L'écrivain était en effet en train de publier un guide14 dans lequel il affirmait que la maison de Racine avait été détruite. Pourtant, à la dernière page de l'ouvrage, un erratum signale que la maison existe en fait bel et bien et que c'est l'hôtel de Ranes (21, rue Visconti). Il se serait donc renseigné à la dernière minute auprès de Poumiès et tout deux auraient engagé des recherches en commun. Dans une lettre datée du 12 juin 1855, Lock affirme finalement que « l'examen des localité fournit, sinon une preuve positive, du moins une induction assez concluante » que le 21 est bien la maison de Racine15. Sur la foi de ces « conclusions », Poumiès fait poser une plaque commémorative quelques mois plus tard. Certains loueront cette initiative : « au 21, des inscriptions modernes dues à un propriétaire intelligent rappellent que Racine et Adrienne Lecouvreur ont habité et sont morts dans cette maison »16. Sauf que c'est faux : il sera démontré 60 ans plus tard (voir la page Où est mort Racine ?) que Racine est mort au 24-26, rue Visconti. « C'est ainsi que pendant plus d'un demi siècle on put lire sous le porche du n°21 de la rue Visconti une plaque commémorative indiquant que Racine avait habité là et qu'il y était mort. Cette inscription fut le but de nombreux pèlerins qui contemplaient les murs avec attendrissement »17.

En scientifique scrupuleux, Poumiès note aussi les dates marquantes de la rue : premier pavage, pose des égouts, etc, ce qui constitue aujourd'hui une source unique d'informations. Il écrit par exemple « Le 1er octobre 1852, j'ai pris des eaux de la Ville, 1500 litres par jour, 75 fr par an. La pose des tuyaux m'a coûté environ 300 fr »5.



Sa notoriété

Poumiès n'était pas célèbre, il avait surtout une réputation de praticien hors pair et avait une certaine notoriété. On connaît sa vie principalement à travers ses mémoires publiées par ses filles en 1910 et sa personnalité transparaît de son opuscule Les Moments Perdus. Rares sont les autres documents datés de son vivant qui parlent de lui. Les archives, livres et articles de presse évoquent Poumiès pour 4 raisons principalement :
  • Le fait qu'il ait fait poser la plaque commémorative indiquant que Racine était mort au 21, rue Visconti ;
  • Son opuscule de poèmes Les Moments Perdus publiés en 1855, réédité et augmenté en 1860 ;
  • Ses mémoires "Souvenirs d'un Médecin de Paris", connues comme source originale d'anecdotes du XIXe ;
  • Sa collection d'autographes.
Ses mémoires sont saluées10,11,13,18 dès leur parution, près d'un demi siècle après sa mort : « tout est sourire dans cet aimable volume »17, etc. Son livre est apprécié parce que Poumiès s'est positionné comme le témoin privilégié et bien informé des événements de son siècle et a su les restituer avec rigueur et fraîcheur. Le Périgord ancestral d'avant la Révolution, l'introduction de la cigarette, les révélations concernant un Prince de Monaco, l'exécution du Maréchal Ney à laquelle il assiste, le tableau qu'il dresse des méthodes d'enseignement de la médecine de l'époque, etc, sont autant de prétextes à le citer.

S'il n'est pas connu, le nombre de personnalités de premier ordre qu'il côtoie ou croise au cours de sa vie est impressionnant. Cela est dû à sa renommée en tant que médecin à Saint-Germain-des-Prés qui lui fait croiser du beau monde, mais certainement aussi à une volonté de sa part d'être au plus près de ces acteurs de l'histoire. A son arrivée à Paris, il écrit « Me voilà donc à Paris, objet des rêves des jeunes gens élevés en province »2 et collectera au cours de sa longue carrière de nombreux documents autographes aujourd'hui conservés à Périgueux.

Il fait sa première rencontre, furtive mais de taille, peu de temps après son arrivée dans la capitale. Curieux de tout, il se précipite vers un attroupement agité et tombe nez à nez avec Napoléon Bonaparte. Etonné de voir arriver cet énergumène essoufflé, Napoléon lui aurait demandé « Que voulez-vous, jeune homme » ? Stupéfait, Poumiès aurait alors battu en retraite sans même prendre le temps de répondre19.

Il suit les cours de Cuvier et de plusieurs autres grands professeurs dont les noms ont traversé les siècles, puis il « s'assure en quelques années une nombreuse et intéressante clientèle. En ce temps là survivaient bien des témoins de la Révolution et le hasard mit souvent Poumiès en relation avec eux »17. Il raconte dans ses mémoires qu'il bavarde avec Rossini au sujet de la musique de Verdi, qu'il est de l'entourage de Velpeau (« le prince de la science »2), qu'il est l'ami intime du prince Florestan 1er de Monaco qui a régné de 1841 à 1856, et on le retrouve comme témoin au mariage de la fille de Froment-Meurice, le célèbre orfèvre-joaillier de la Ville de Paris au XIXe siècle20... Heureusement, il cultive dans le même temps une modestie sincère : « le bonheur n'est donc pas toujours dans la grandeur »1

Baptiste Essevaz-Roulet
(courriel : b.essevaz-roulet@ruevisconti.com)



Références

1- François-Louis Poumiès de la Siboutie, Les Moments Perdus, 1855.
2- François-Louis Poumiès de la Siboutie, Souvenirs d'un Médecin de Paris, 1910.
3- Entretien avec le général Cellérier, 2005.
4- François-Louis Poumiès de la Siboutie, Essai sur la première menstruation, 1815, BnF, 8-TH PARIS-131 (254).
5- Documents personnels Poumiès de la Siboutie, collection particulière.
6- Entretien avec Abel Meyet, 2006.
7- Chevalier de Champeaux, Exposé de l'affaire du chevalier de Champeaux, 1823, BnF, 4-FM-5880.
8- Sommier Foncier, Archives de Paris.
9- Archives Masson, Archives de Paris.
10- Dr Louis Laffort, Médecins devant la Révolution de 1848, 1949.
11- Poumiès de la Siboutie, Larousse Mensuel Illustré n°45, novembre 1910, pages 822-23.
12- Charles Daubige, A travers une collection d'autographes, Le Figaro du 9 mai 1883.
13- Dr Achille Chereau, Le Parnasse Médical Français, 1874.
14- Frédéric Lock, Guide alphabétique des rues et monuments de Paris, 1855.
15- Frédéric Lock, Lettre du 12 juin 1855, L’Athénoeum Français, 21 juillet 1855.
16- F.-R. Hervé-Piraux, Folies d'Amour au XVIIIe siècle, 1911.
17- G. Lenôtre, Paris et ses fantômes, 1933.
18- Michel Dupont, Dictionnaire historique des médecins, 1999.
19-Entretien avec Denyse Wallon, 2006.
20- Contrat de mariage du 23 décembre 1854, Arch. nat., V/1194, doc. 227 ; cité par Valérie Goupil, La Madeleine ou le plus bel écrin des Froment-Meurice, 2004.
21- François-Louis Poumiès de la Siboutie, Les Moments Perdus, 1860.