Ancien immeuble du 13, rue Visconti en 1914 à gauche, et immeuble actuel à droite.
Photographie de l'UPF en 1914 reproduit par les Archives de Paris pour www.RueVisconti.com et cliché BER à droite.


Histoire

Cette maison était sur la censive de l'abbaye dont les archives sont lacunaires par rapport à celles de l'Université concernant le Petit Pré-aux-Clercs. On ne sait donc pas grand chose de l'histoire du bâtiment à ses origines. Il semble que la maison n'existe pas encore en 1543, mais il en est fait mention en 1547. Il est dit qu'« elle a subi un retranchement dans sa partie postérieure ».

L'histoire connue commence au début du XVIIe siècle où l'immeuble est propriété de demoiselle Françoise Bouier, veuve de François Fontaine. Le 14 février 1636, celle-ci fait don des immeubles des actuels 13 et du 15, rue Visconti aux dames religieuses de la Visitation Sainte Marie de la rue Saint-Antoine en raison de « la singulière dévotion que ladite damoiselle Françoise Bouier a dit porter audit ordre de la Visitation, particulièrement audit monastère » et sachant « que les saintes religieuses et leurs successeurs seront tenus et obligés de prier Dieu pour elle et pour les âmes desdits défunts, sieur de Fontaine son mari et Andromaque de Fontaine son fils décédé depuis peu » (Archives Nationales).


Signature de Françoise Bouier en 1636 sur l'acte de donation (Archives Nationales, cliché BER).


Françoise B. ?

Comment orthographie-t-on un nom de famille quand on n'en connaît que des versions manuscrites ? La réponse est « de manière incertaine » ! L'histoire de Françoise B. veuve du Sieur de Fontaine est relatée dans plusieurs livres qui évoquent la rue Visconti et plus précisément les deux maisons numéros 13 et 15. Pierre Champion dans « Mon Vieux Quartier » écrit Françoise Bonnier, Demombynes dans « La rue des Marais et la maison de Racine » écrit Françoise Bouhier, Paul de Beauchêne dans « La maison de Racine et la rue Visconti » écrit Françoise de Bonier et Berty dans « Topographe Historique du Vieux Paris » écrit Françoise Bouille.

Tous ces auteurs se sont sans doute appuyés sur les documents postérieurs au don, dans lesquels le nom de Françoise B. est altéré.


Document de 1734 (Archives Nationales) sur lequel est rappelé l'histoire de la donation (cliché BER).

Or la règle des historiens consiste à se référer à la signature de l'intéressé. Pour rueVisconti.com, l'acte original de donation des maisons en question a été consulté et photographié aux Archives Nationales. Sur ce document, la signature de Françoise B. semble assez claire (voyez au-dessus de cet encadré le F de Françoise mêlé au B) pour que nous choisissions d'écrire Françoise Bouier.


Les deux maisons demeurent la propriété des religieuses jusqu'en 1791 où elles sont réquisitionnées comme bien national par la Ville de Paris. Le 13, alors numéro 5 selon le numérotage Royal, est adjugé à la requête du procureur de la commune, sur l'enchère de 25 600 livres, le samedi 22 janvier 1791 à onze heure du matin, à Jean-François Debelle, un particulier. En 1839, la maison abrite une institution. La famille Debelle reste propriétaire jusqu'en 1844, où le 13 est vendu par adjudication, vu le nombre d'héritiers, à la famille Thellier. C'est à cette époque que l'on commence à dire que c'est dans cette maison que Racine est mort.


Plan du rez-de-chaussée du 13, rue Visconti d'après le relevé de Philibert Vasserot effectué entre 1821 et 1822
(Archives Nationales, reproduit pour www.RueVisconti.com).


Deux énormes ceps de vigne trônent en effet dans la cour, grimpant sur la façade. Ils sont décrits comme étant « une curiosité végétale » de Paris, et florissants en 1855. Ces ceps sont appelés la "Vigne de Racine" car on disait que l'écrivain les avait plantés lui-même. La tradition orale avait fini par désigner cette maison comme étant la dernière demeure de Racine (voir la page "Où est mort Racine ?"). Certains commentateurs feront remarquer que la durée de vie d'une vigne n'est pas suffisante pour couvrir les 150 années qui se sont écoulées depuis le décès de l'écrivain, en 1699.


Intérieur de la cour du 13, rue Visconti, avec l'un des deux fameux ceps de vignes.
La photo, attribuée à Nadar, n'est pas datée, mais est antérieure à 1875
(reproduction Bibliothèque Nationale de France pour www.RueVisconti.com).


En 1883, la famille Thellier revend la maison du 13 à Mr Rousset, Stéréotypeur. Ce dernier se verra obligé d'arracher la vigne la même année. Un procès-verbal d'une réunion de la Commission du Vieux Paris évoque ce fait, et propose que la vigne soit transférée au musée Carnavalet ! Elle sera finalement transplantée au musée de Cluny où « elle périra des soins qu'on lui prodigua ».


Porte d'entrée du 13, rue Visconti. A gauche, encore en place sur l'ancien bâtiment (en 1960), à droite, restaurée et installée sur le nouveau bâtiment (photos B.E.-R.).


La maison sera cédée à l'amiable par la veuve de Mr Rousset à la Ville de Paris le 11 juin 1914 dans le cadre du projet de prolongement de la rue de Rennes (voir le dossier "On l'a échappé belle").


Télégramme daté de mars 1914 dans lequel Mme Rousset accepte la proposition de rachat faite par la Ville de Paris
(Archives de Paris, cliché BER).


A cette époque, plusieurs bâtiments (déjà en mauvais état) sont élevés sur la parcelle de 524,5 m² :

  • Un bâtiment en bordure de la rue, élevé sur caves voûtées d'un rez-de-chaussée, 2 étages carrés et 3e étage sous combles
  • Trois bâtiments élevés sur terre plein d'un rez-de-chaussée uniquement, à usage d'ateliers
  • Un « bas édifice ».
Il semble que comme plusieurs autres immeubles de la rue, la Ville de Paris n'a pas entretenu ce bâtiment puisqu'il est destiné à être rasé. Comme le projet de prolongement de la rue de Rennes traîne en longueur, le bâtiment se dégrade et finit par devenir dangereux. Le bâtiment principal (sur la rue) est ainsi démoli en janvier 1942.

Démolition du bâtiment sur rue du 13, rue Visconti en janvier 1942 (Clichés Pavillon de l'Arsenal pour www.RueVisconti.com).


La parcelle restera ainsi éventrée jusque dans les années 1970, les bâtiments autour étant soutenus pas des étais.


Parcelle du 13, rue Visconti après la démolition du bâtiment sur rue au début des années 1970.
Au premier plan, le 15, rue Visconti est retenu par des étais. Archives de Paris, cliché BER.


Les autres bâtiments de la parcelle sont presque tous des taudis, dans un état "de totale insalubrité". Il y a notamment des constructions dans la cour uniquement en rez-de-chaussée occupées par les Beaux-Arts.


Intérieur en 1960 de l'atelier Zavaroni-Lamache dépendant des Beaux-arts, situé dans le bâtiment vitré en aile à gauche en entrant (photos B.E.-R.)


C'est Othello Zavaroni qui, le premier, signe le 10 juillet 1947 avec la ville de Paris l'engagement de location qui lui permet d'installer un atelier dans ces locaux. A cette époque, la vielle porte cochère du 13 étant condamnée, l'entrée dans les bâtiments s'effectue par le 15. Cet atelier, qui deviendra le célèbre atelier Lamache, accueille jusqu'à 150 élèves architectes qui y travaillent jour et nuit et très bruyamment (au clairon ou au piano mécanique) jusqu'à exaspérer les riverains qui finiront par porter plainte en 1957. Le sculpteur Feltrin, n'en pouvant plus, aurait jeté plusieurs de ses ébauches sur l'atelier, en contrebas du sien, et aurait systématiquement brisé les vitres accessibles avec sa canne.


De gauche à droite : Mme Poussin, la concierge, Mme Feltrin, la femme du sculpteur et Mme Peraldi, une locataire en pleine
discussion avec Mr Partouche, un élève architecte (photos parues dans Le Détective du 27 mai 1957 au sujet du dépôt de plainte).


En 1961 M. Berry, Architecte en Chef des Monuments Historiques, fait une proposition audacieuse consistant démolir les immeubles 5, 7, 9, 11, 13 et 15 pour ouvrir sur la rue Visconti les jardins privés de l'îlot pour en faire un jardin public (voir l'article consacré au projet). Ce projet est écarté mais il met en lumière l'état d'insalubrité avancé de cette portion de la rue. Plutôt que démolir, la Commission du Vieux Paris préconise, toujours en 1961, que les immeubles numéros 13 et 15 soient "conservés et remis en état pour garder à cette rue son caractère ancien et pittoresque auquel s'attache le souvenir de Balzac".


Vue de la cour du 13 en 1972, complètement occupée par des hangars et ateliers dans un état de total délabrement (Archives de Paris, cliché BER).


En 1969, une étude préalable est lancée pour déterminer l'avenir de cette parcelle, toujours propriété de la Ville de Paris. Dans un premier temps l'étude de 1969 envisage la création d'un habitat social uniquement sur la parcelle du 13 mais le projet prend de l'ampleur et s'étend au n°15 qui devra être démoli. Finalement, le Conseil de Paris, par délibérations en date des 9 juillet 1970, 21 décembre 1970 et 22 décembre 1971, décide l'affectation des 2 terrains domaniaux d'une superficie totale de 955 mètres carrés en vue de la création d'un foyer-logements et d'une crèche. Les plans de l'ensemble social sont dressés par la Sous-direction de l'Architecture de la Ville de Paris, qui assurera la maîtrise d'ouvrage et par François Carpentier, architecte.

Le projet est dès le départ assez semblable à ce que l'on peut voir aujourd'hui. Seuls quelques détails sont âprement discutés, comme l'importance du décrochement entre l'immeuble du 13 et du 15 (50 cm finalement), ou bien la forme que doit prendre le retour du 13 pour cacher le mur pignon du 11, comme cela a été demandé par les Monuments Historiques.


Croquis du projet intermédiaire. Le bâtiment ne sera pas construit exactement comme cela (Archives de Paris, cliché BER).


Les architectes vont chercher à insérer au mieux les nouveaux bâtiments à ceux de la rue, mais aussi aux jardins à l'arrière des bâtiments, afin de ne rien défigurer. Il vont essayer de réutiliser l'escalier du 15, et inséreront les deux portes en bois des bâtiments d'origine dans leur édifice. Les deux portes visibles aujourd'hui sont les uniques vestiges des anciens numéros 13 et 15.


Etude d'insertion des deux bâtiments à construire dans la continuité des façades coté impair (Archives de Paris, cliché BER).


Une demande de permis de construire est déposée le 19 mai 1972 qui sera accordé le 18 juin 1974.


L'énorme dossier de la demande de permis de construire (Archives de Paris, cliché BER).


Après la démolition des bâtiments restants, les travaux de construction débutent en décembre 1974 et la réception provisoire, prononcée le 21 juillet 1977. Les travaux sont finalement déclarés terminés le 22 mai 1978.


Chantier de démolition du n° 13 en 1974. Pour le n°13, seul le bâtiment de gauche est encore partiellement debout.
Les bâtiments de droite sont ceux du n° 15 et seront démolis aussi. Les bâtiments en arrière plan sont ceux du 20, rue Jacob.
Montage : Christian Chevalier, d'après les clichés de Florence Jonquières et Jean Bouvier.


Comme cela est décrit dans la plaquette éditée par la Ville de Paris le 7 janvier 1978, « Le parti architectural adopté a été influencé par le désir d'intégrer la construction à l'ensemble du quartier. Ainsi, les toitures sont en ardoise sur charpente en combles mansardées, les deux vantaux en bois massif du portail existant, réhabilité, ouvrent sur un passage cocher reliant la rue Visconti au jardin planté situé en façade arrière. La rampe en chêne massif de l'escalier protégé récupéré dans la construction existante et remis en oeuvre, éclaire le hall d'entrée d'une note chaude. »

La résidence pour personnes âgées qui a repris l'adresse du 13, rue Visconti, a ouvert le 24 octobre 1977 et peut accueillir 23 personnes âgées valides de plus de 65 ans. L'immeuble, de 4 niveaux sur rez-de-chaussée et sous-sol desservis par un ascenseur et un escalier, abrite 23 studios du type F1 bis, un appartement de gardien, une salle de soins, une salle de réunions et les locaux techniques et de service. Sur la façade arrière, un jardin privatif de 135 m² a été aménagé.

Intérieur des studios de la résidence (fascicule de la Ville de Paris du 7 janvier 1978, Bibliothèque Administrative de la Ville de Paris, clichés BER)


Les studios font environ 29 m² et sont tous équipés de la même manière : un placard-penderie, une salle de bains avec WC incorporés, une cuisine équipée avec plaques chauffantes, réfrigérateur et table de travail.




Galerie

Cour du 13, gravure datée de 1873 d'après Hubert Clerget.
Cour du 13, gravure datée de 1887 d'après Hubert Clerget.
Cour du 13, gravure non datée signée Hubert Clerget.
Photo non datée (probablement vers 1875) de la maison du 13, rue Visconti vue depuis la cour.
Idem, détail.
Relevé cadastral de 1822 de la maison du 13. La rue Visconti est en bas de l'image.
Porte du nouveau bâtiment du 13, rue Visconti, aujourd'hui.
Porche de l'ancienne maison du 13, rue Visconti par Eugène Atget en 1910.
Détail avec correction de la perspective de la photo du porche du 13, rue Visconti par Eugène Atget en 1910. On peut lire le nom de Rousset au dessus de la porte.
Immeuble du 13, rue Visconti photographié par l'UPF en 1914 (Archives de Paris).
Espace libéré par la démolition du bâtiment principal sur rue du 13, rue Visconti. Au premier plan, on voit l'immeuble du 15, étayé en travers de la rue. La porte du 13 a été conservée a sa position (cliché pris en 1972).
Espace libéré par la démolition du bâtiment principal sur rue du 13, rue Visconti. Au second plan, on voit l'immeuble du 15, étayé en travers de la rue. La porte du 13 a été conservée a sa position (cliché pris en 1972).
Idem que la précédente : on distingue en plus les étais qui renforcent le 21, rue Visconti, au fond de la rue.
Mur pignon du 11, avec au premier plan les palissades métalliques qui masquent l'espace libéré par le bâtiment principal du 13, démoli (cliché pris en 1972).
Idem précédente.
Etaiement du 15, rue Visconti dans le trou laissé par le bâtiment principal du 13, démoli (cliché pris en 1972).
Porte du 13, rue Visconti, laissée en place malgré la démolition du bâtiment (cliché pris en 1972).
Vue de la cour du 13, rue Visconti depuis l'immeuble d'en face, coté pair : le bâtiment sur rue ayant été démoli, apparaissent les ateliers et autres constructions qui remplissaient la cour. L'état de délabrement saute aux yeux (cliché pris en 1972).
Détail de la photo précédente. Ce bâtiment, le long du mur mitoyen du 11, faisait office d'ateliers d'artiste grâce à sa façade presque entièrement vitrée.
Croquis intermédiaire du projet de construction des bâtiments sociaux : le projet final est légèrement différent.
Façade sur rue.
Façade sur jardin.


Contact : webmaster@ruevisconti.com