14, rue Visconti |
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Alphonse Rabbe (1784, Riez, Alpes-de-Haute-Provence – Paris, 31 décembre 1829) vécut dans la maison. Cet écrivain oublié aujourd'hui et qui eut son heure de succès, acheva à 44 ans une vie de travail accablante et de souffrance morale et physique sans précédent. Il laissa une œuvre considérable : "la biographie universelle et portative des contemporains" et des dizaines d'autres volumes pleins d'érudition. Défiguré, rendu presque méconnaissable par une horrible maladie, il se cachait dans son logis de la rue Visconti, se sachant un objet de répulsion et d'effroi, et ne connut la fin de son martyre que lorsque la mort vint le délivrer. Le peintre César Ducornet y a travaillé pendant 12 années jusqu'à sa mort en 1856. Né sans bras, il était célèbre pour peindre avec ses pieds... mais n'est pas vraiment resté dans la postérité pour son oeuvre. L'artiste peintre Suzanne Bertillon, nièce d'Alphonse Bertillon, l'inventeur de l'utilisation de l'empreinte digitale, y a exercé de 1920 à 1938. Enfin, Maurice Schumann y aurait habité quelques temps avant la seconde guerre mondiale : à la libération, il serait revenu au 14 pour réclamer la chambre qu'il occupait. Histoire de la maison A l'époque de la succession du dernier héritier de Lovencourt, vers 1760, la maison est dans un état jugé très mauvais. La maison à l'époque est la même qu'aujourd'hui. Elle consiste en un principal corps de logis sur la rue, avec aile en retour à gauche derrière, élevé de deux étages plus combles. Un passage de porte cochère est pavé de grès, ainsi que la cour. Le toit en particulier est profondément miné. La charpente doit être en partie reprise et un tiers des tuiles doit être changé. Les deux murs mitoyens sont en très mauvais état : celui vers le 16 doit être remonté à partir du deuxième étage et celui de droite, vers le 12 doit être renforcé. De manière générale, les murs sont fissurés ou abîmés, les fenêtres ne ferment plus correctement et leurs carreaux sont soit cassés, soit complètement opaques tant ils sont sales. Les deux tiers des pavés de la cour doivent être changés ou re-scellés car ils sont déchaussés ou manquants. Les cheminées et les fourneaux et réchauds de la cuisine cassés ou inutilisables. En 1770, à l'instar de sa voisine de gauche (mêmes propriétaires), la maison est de nouveau habitable. Façade et plan du rez-de-chaussée du 14, rue Visconti, tracés en 1771, Archives Nationales. A droite sur le plan, la rue est en bas. On trouve la cuisine (A) avec sa cheminée à hotte, en haut en C, les écuries et dans le mur mitoyen d'avec le 12 (à droite) le puits commun. La cour a été refaite et les eaux de pluie s'écoulent de nouveau vers la rue. La cuisine pavée, sur cour, à gauche de la porte cochère, contient désormais une grande cheminée à hotte, ainsi que fourneau et réchaud ainsi qu'une pierre à laver. Coté rue, une loge de portier et un office ont été créés. Dans la cour, le puits, commun avec la maison du 12, est à margelle de pierre et poulie de cuivre. Des écuries pour 4 chevaux sont aménagées dans la remise de l'aile gauche, tout au fond. La maison contient deux chambres par étage sur rue, avec cabinets, antichambres, etc, toutes dotées de cheminée en pierre de liais, bois ou marbre. Les sols sont tous carrelés de terre cuite (tomettes) ou parquetées. Dans l'étage sous comble, 4 chambres de domestiques ont été créées, elles sont toutes éclairées par des lucarnes. Le bâtiment en ailes contient un cabinet au premier étage, une chambre au second et un étage de comble servant de réserve à fourrage. Plan du rez-de-chaussée au début du 19e siècle (à gauche) et aujourd'hui (à droite). La cour a été réduite, sans doute au début du 20e siècle, par l'ajout d'un bâtiment dans le fond de celle-ci. Au début du XXe siècle, la société Haro et Cie occupait tout l'immeuble à des fins professionnelles (« dépôt et maison de vente »). Il en résulte que les distributions intérieures ont été remaniées pour cette destination spéciale. Au rez-de-chaussée, les constructions au fond de la cour servaient de magasins, salle d'exposition et bureau ; une autre salle d'exposition occupait le 1er étage du bas édifice dans la cour ; les pièces des deux premiers étages du bâtiment sur rue servaient de magasins, et le troisième et dernier étage de ce bâtiment formait un grand atelier d'artiste. L'ensemble des constructions est estimé être en médiocre état en 1912 et sera entièrement rénové par Mr Frémont qui l'acquiert en 1913 peu de temps avant d'en être exproprié par la Ville de Paris... Encart publicitaire pour les frères Haro en 1890. Lignée presque complète des propriétaires du 14, rue Visconti de 1540 à 1950 Réalisée grâce aux données collectées aux Archives de Paris (sommier foncier), Archives Nationales (Déclarations au Terrier, Minutier Central, Mémoire sur le petit Pré-aux-Clercs) et Bibliothèque Historique de la Ville de Paris (Atlas de Censive de l'Université). Le terrain sur lequel est bâti le 14, rue Visconti est à sur la censive de l'Abbaye de Saint-Germain-des-Prés, contre la limite du petit Pré-aux-Clercs qui était sous la censive de l'Université. L'origine exacte du lotissement est moins bien connue que pour les lotissements du petit Pré-aux-Clercs, faute d'archives suffisantes. Berty signale qu'en 1547, le terrain est un jardin. La plus ancienne trace de lotissement connue de nous remonte au 7 mars 1580 date à laquelle Martin Sédille vend sa maison à Louis Bertrand et Claude sa femme. Par le jeu des héritages successifs, la maison passe à aux mains de Louis, leur fils, puis à Marguerite, sa fille. A sa mort, faute de descendance directe, la maison est héritée par ses cousins et adjugée fin 1690, début 1691 à l'un d'eux, Jean-Baptiste de Hallor de Serrauville ou Ferranville. Celui-ci vendra sa maison le 13 mai 1699 à Geneviève Dezaleux, la veuve de Augustin de Louvencourt, aussi propriétaire du 16, rue Visconti. Son fils Augustin-François de Paule de Louvencourt, conseiller au Parlement, en hérite au début du 18e siècle. Vers 1760, Augustin-François décède et son légataire particulier, Joseph Benoist Coste de Champeron récupère les deux maisons. Lorsque ce dernier décède à son tour, vers 1772, ses enfants se disputeront longtemps son héritage tant et si bien que le 14 est vendu le 9 mai 1777 à Pierre Elie Barraux Desgranges, Bourgeois de Paris. Le deux prairial an 2, soit en 1794, les héritiers de Pierre Elie vendent la maison à Jérôme Lemercier et Victoire Mestier sa femme qui revendront en 1797 à Mr et Mme Bertrand. Leurs héritiers vendront l'immeuble à Jean-Jacques Barre, en janvier 1825. Celui-ci la revendra le 26 juin 1844 à Jacques François Haro et Angélique Osmont, sa femme. A la mort des parents, la maison sera adjugée à Sophie Angélique Haro, leur fille, le 24 août 1872. Celle-ci, devenue veuve, louera la totalité de sa maison à son frère Etienne-François Haro, célèbre expert en peinture. Celui-ci avec son fils Henri Haro rachèteront la maison à la mort de Sophie en 1895. Henri décède en 1911, et ses héritiers vendront la maison à Gabriel Frémont en mai 1913. Mr Frémont est juriste de formation et est immensément riche. Il est féru de sport et participe à la création de l'Equipe. Il est propriétaire du Veld'Hiv et est l'inventeur de la course des 6 jours. Mr Frémont possède également un terrain de golf, la quasi totalité du village de Bormes-les-Mimosas et du Cap Bénat. Plus près de nous, il était propriétaire de toutes les maisons bordaient l'ancien passage du Pont-Neuf et est à l'origine de sa transformation en la rue Jacques Callot. Mme Frémont, quant à elle, outre le fait d'avoir faire inscrire sur son fronton "Ci-devant hôtel de la Rochefoucault" (ce qui était faux), était artiste peintre. Elle était l'amie de l'homme politique Albert Sarrault à qui elle doit de nombreuses commandes. Elle a décoré la cathédrale de Port-Saïd. Le couple était paraît-il très avare et ne supportait pas l'idée de dépenser de l'argent, ni même que d'autres en dépense ! Ils préféraient par exemple aller téléphoner chez les voisins que de prendre le téléphone ou récupéraient les vieux bouquets de fleurs dans la poubelle pour fleurir leur intérieur. Le couple Frémont cède la maison à la Ville de Paris en juin 1921, dans le cadre de la campagne d'expropriation pour prolonger la rue de Rennes (voir la page On l'a échappé belle !) et qui n'entretient pas le bâtiment. |
Porche du 14, rue Visconti par Eugène Atget en 1910. |
Porche du 14, rue Visconti (détail), par Eugène Atget en 1910. |
Immeuble du 14, rue Visconti photographié par l'UPF en 1914 (Archives de Paris). |
Porte du 14, rue Visconti, aujourd'hui. |
Détail de la porte. |