Histoire de la construction de l'actuel immeuble
Deux coups de chances pour raconter la construction du 3, rue Visconti
La conjonction de deux coups de chance nous permet de connaître tous les détails de l’édification du 3, rue Visconti. Le premier est que la construction de l’immeuble du 3, rue Visconti a fait l’objet d’un « devis et marché », acte notarié relativement rare, donnant à la fois les plans, les instructions aux maîtres d’œuvre mais aussi les coûts et les conditions de règlement des ouvriers.
Le second coup de chance est d’avoir trouvé ce devis et marché ! Mon ami Yoann Brault des Archives nationales a tout d’abord trouvé par hasard l’expertise du chantier du 3, rue Visconti. Il s’agit d’un acte de la série Z1J qui n’est pas encore complètement dépouillée. Autrement dit, Yoann ne l’a trouvé que parce qu’il était en train de regarder les actes un par un pour ses propres recherches. J’ai donc pu consulter l’expertise grâce à la cote qu’il m’a donnée, expertise qui, elle-même m’a permis de trouver à ce fameux « devis et marchés » puisqu’elle y faisait référence (elle donne la date de l’acte et le notaire chez qui il a été signé). |
Figure 1 : à gauche, devis et marchés de la maison à bâtir en date du 15 juillet 1742 (AN ET XCVIII 480). Devis et marché 3 rue Visconti ; à droite : expertise du bâtiment construit en date du 29 août et 5 septembre 1743 (AN Z1J 730).
L'histoire de la construction de l'édifice commence au printemps 1742. Louis Deleau (également orthographié Duleau), loueur de chevaux, et sa femme, Andrée-Marie Deleau née Cestin, sont alors propriétaires de la parcelle du 3, rue Visconti sur laquelle est bâtie une maison constituée d’un corps de logis sur rue et d’un bâtiment à l’arrière (les documents consultés ne nous renseignent pas sur l’origine de la propriété). Ils décident de la faire reconstruire pour l’agrandir, ou plutôt, la rehausser. Ils font établir un « devis et marché » devant notaire, document qui passe en revue tous les détails du chantier, de la démolition à la reconstruction. L’architecte qu’ils choisissent est Jacques Le Tordeur, juré-expert et bourgeois, le maçon et maître d’œuvre est Nicolas-Henri Le Bœuf et le maître charpentier est Jean-Baptiste Bourdier. Les travaux doivent durer quelques mois et coûteront 14 000 livres.
Les ouvriers commencent par démolir l’ancienne maison, puis trient les matériaux : les gravas et les terres sont « envoyés aux champs » mais poutres, menuiseries, ferrures des portes, ainsi que les pierres et moellons sont conservés pour être remployés dans la nouvelle construction. La rampe de fer de l’ancien escalier est elle aussi conservée pour être installée dans le corps de logis à l’arrière de la parcelle. Les ouvriers creusent ensuite les fondations et agrandissent les caves existantes.
C’est à ce moment là que Andrée-Marie Deleau décède, laissant orphelins les deux enfants du couple, Louis-Henry, 17 ans, et Anne, 5 ans et demi. Les travaux sont immédiatement interrompus. Outre la probable douleur de la famille, ce décès place Louis Deleau dans une situation délicate puisque la propriété de la parcelle revient pour un quart à ses enfants, encore mineurs, l’autre quart lui revenant en raison de la communauté de bien établie entre lui et feue son épouse. Pour être autorisé à poursuivre les travaux, il doit obtenir le droit d’engager des frais au nom de ses enfants mineurs. Le 25 mai 1742, il fait témoigner sa famille, ses amis et même jacques Danonville, marchand de vin, son voisin du 1, rue Visconti devant le Prévôt de Paris. Il obtient de ce dernier le statut de tuteur légal de ses enfants, et, de fait, l’autorisation de poursuivre le chantier.
La reconstruction est menée sous la direction de l’architecte. Il est prévu un bâtiment sur rue et un autre, en fond de parcelle. Le premier doit avoir trois étages et un étage lambrissé composé chacun de quatre chambres avec cheminée, ainsi que deux boutiques en rez-de-chaussée, caves et fosses d’aisance en-dessous. Le corps de logis de derrière se compose d’écuries en rez-de-chaussée avec deux étages au-dessus comprenant chacun deux chambres avec cheminées et un grenier.
Les travaux de reconstructions sont décomposés en différents thèmes : ouvrages de maçonnerie, carrelage, charpente, couverture, menuiserie, serrurerie, vitrerie, peinture d’impression et pavés.
Figure 2 : plan de la façade tiré du devis et marché. La façade se distinge des autres immeubles de la rue notamment par les arcades des baies de fenêtre.
Le devis précise notamment que les murs de façade sur rue et sur cour seront faits « en pierre de taille dure d’Arcueil depuis les fondations jusque sous les poitrails [le poitrail est la poutre qui coiffe généralement l’entrée et marque la séparation entre le rez-de-chaussée et le premier étage] et auront dix-huit pouces d’épaisseur avec trois pouces de retrait aux premières assises et seront construits au-dessus en bon moellon essemillé [moellon grossièrement équarri] et ébousiné [dont on a ôté la partie tendre, nommé bousin, impropre à être conservée lors de la mise en œuvre] maçonné avec plâtre au crible et ravalé de plâtre fin des deux côtés. (…) Lesdits murs auront seize pouces d’épaisseur au premier étage, quinze pouces au deuxième étage et quatorze pouces au troisième étage. »
Figure 2 : plan du rez-de-chaussée tel qu’il apparaît dans le devis et marchés du 15 juillet 1742.
Le 29 août et 5 septembre 1743 une expertise de la maison conclut à la conformité du travail réalisé par rapport au devis et marchés.
La maison a été vendue à la Ville de Paris le 27 juin 1925.
Galerie
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Porte d'entrée du 3, rue Visconti. |
Cadastre (plan du rez-de-chaussée) levé par Philibert Vasserot au cours de la première moitié du 19e siècle. |
Relevé de façade du 3, rue Visconti en 1974 (Archives de Paris). |
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